Prospective scientifique 2017

Du 30 octobre 2016 au 31 mai 2017, Catherine Jeandel, océanologue géochimiste, directrice de recherche au CNRS, a piloté la première prospective scientifique de la Flotte océanographique française (FOF). Le colloque organisé à l’Institut de physique du globe de Paris, les 8 et 9 mars 2017, a donné lieu à une discussion ouverte, constructive et particulièrement dynamique sur les fonctions de la FOF, la répartition des navires, les besoins en navires et en engins profonds ainsi que les évolutions attendues pour le futur. Ce premier travail de concertation demeure une référence.

 

Dans quel contexte la première réflexion, que vous avez pilotée, s’est-elle tenue ?

À l’époque, en 2016-2017, la Flotte océanographique française (FOF) était en cours d’unification. Je présidais la commission de programmation des campagnes en mer. Nous avions effectué des démarches auprès du ministère pour rendre plus fluide et plus cohérent l’accès aux campagnes océanographiques. En particulier, nous demandions à ce que l’Agence nationale de la recherche (ANR) devienne un portail unique pour l’évaluation scientifique et technique des demandes.

À ce moment-là, j’ai pris conscience qu’aucun travail prospectif complet sur l’avenir de la Flotte océanographique française n’avait encore été mené. À l’automne 2016, j’ai donc proposé à François Jacq, alors président directeur général de l’Ifremer, de me charger de piloter cette concertation. J’ai constitué des groupes de travail qui réunissaient une centaine de personnes au total et couvraient toutes les disciplines scientifiques.

Dans quel état d’esprit avez-vous conduit cet important chantier ?

Au départ, ma proposition est presque venue sur un coup de tête. Mais, à ma grande surprise, les collègues m’ont suivie immédiatement ! Il y a tout de suite eu du répondant, de l’envie. J’ai beaucoup aimé mener cette réflexion avec toute la communauté. J’y ai passé du temps, mais j’étais portée par l’élan collectif. Faire dialoguer des scientifiques qui ne se connaissent pas vraiment et qui ont une appréhension floue des contraintes de l’autre, c’est très réjouissant. Nous nous sommes rencontrés, nous avons croisé nos attentes, nous avons débattu en essayant de donner une place à chacun : c’était inédit. Je garde un très bon souvenir de ce travail.

"Faire dialoguer des scientifiques qui ne se connaissent pas vraiment et qui ont une appréhension floue des contraintes de l’autre, c’est très réjouissant. Nous nous sommes rencontrés, nous avons croisé nos attentes, nous avons débattu en essayant de donner une place à chacun : c’était inédit."

Catherine Jeandel

Quels en ont été les principaux enseignements ?

Nous avons rendu nos conclusions au printemps 2017. Le premier enseignement a été d’affirmer l’importance de croiser les disciplines, en d’autres termes de faire en sorte que les campagnes océanographiques répondent au besoin croissant d’interdisciplinarité pour appréhender les questions scientifiques contemporaines. Cette nécessité n’a depuis d’ailleurs eu de cesse de s’amplifier.

Nous avons ensuite émis le souhait que soit redéployé un navire du même type que le Suroît, désarmé en 2016, qui permettait de mener des campagnes océanographiques des côtes jusqu’en bordure de plateau. Nous avons également pointé du doigt la nécessité de mieux se coordonner à l’échelle européenne. Car les questions que nous nous posons, nos voisins se les posent aussi !

Qu’en reste-t-il, aujourd’hui, au regard des grands bouleversements qui sont intervenus depuis ?

Aujourd’hui, la synthèse de nos réflexions continue à être lue, partagée, à servir de référence. Elle est là pour être critiquée, complétée, « martyrisée » comme on dit dans le métier. Mais le contexte a radicalement changé. Certes, nous parlions déjà de décarbonation en 2017. Nous étions tout à fait conscients du paradoxe inhérent à nos missions : pour comprendre comment le CO2 pénètre dans l’océan, nous devons aller au bout du monde et brûler des tonnes de carburant.

Pour autant, aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Et puis à l’époque, le fameux « mur » de 2035 (qui désigne la période où plusieurs navires arriveront en fin de vie en même temps) paraissait encore lointain. Il est désormais très proche…D’un point de vue plus positif, depuis 2017, les avancées technologiques explosent. Des spécialistes s’approprient les nouveaux outils, comme les drones par exemple. Des navires appuyés par la voile (voire entièrement à voile !) sont réfléchis. Ces nouveaux outils comptent parmi les pistes.

Cela ne résoudra pas tout, nous aurons toujours besoin de navires d’envergure, capables d’embarquer jusqu’à quarante-cinq chercheurs, de carotter et d’affronter des conditions météorologiques difficiles.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle démarche prospective lancée en mars 2023 ?

J’ai l’impression qu’il y a de l’enthousiasme chez mes collègues. Personnellement, j’attends le lancement des ateliers avec impatience, même si je ne me sens pas vraiment légitime à donner mon avis, car j’approche de la retraite. Plus généralement, je pense que c’est une bonne chose que notre travail initial soit critiqué et remanié, au regard des évolutions.

Bien sûr, les enjeux de décarbonation risquent de faire peser une chape sur les discussions. Mais il y a sans doute de nouvelles solutions à inventer, des idées à creuser. Face à la contrainte naissent toujours des opportunités et de la créativité !