2.1. Les thématiques de recherche et défis

2.1.1         Géosciences Marines

Les défis scientifiques à relever dans les prochaines années relèvent à la fois des préoccupations de la société pour l’océan, les littoraux et les aléas associés mais aussi de l’avancée de nos connaissances sur le fonctionnement du système Terre du présent à l’échelle des temps géologiques.

Parmi les préoccupations sociétales, les défis principaux sont de:

  •  Favoriser les études littorales et couplées terre-mer, notamment en matière d’aléas tsunami/sismique/gravitaire et d’échanges souterrains continent/océan ;
  •  comprendre les dynamiques des contaminants (métalliques, métal-organiques et organiques) en lien avec les forçages hydro-sédimentaires et exploiter des archives historiques sédimentaires pour la caractérisation des transformations et de la persistance des contaminants dans les réservoirs géologiques en fonction des conditions environnementales ;
  •  caractériser la réponse morphologique du trait de côte et suivre l'évolution de la construction sédimentaire des plateaux et des zones côtières en réponse à l’élévation du niveau marin, aux forçages météo-climatiques, aux perturbations anthropiques (migration, construction/érosion, etc.) qui modifient les flux de matériaux disponibles ;
  • déterminer les seuils de perturbation tolérable du substrat (habitat physique) pour le maintien ou la restauration de l'habitat biologique (en lien avec les impacts anthropiques) ;
  •  décrypter à haute résolution les archives marines (sédimentaires et biologiques fossiles) pour mieux contraindre les changements climatiques et les impacts anthropiques et mieux dater les évènements catastrophiques, atmosphériques ou telluriques; améliorer la compréhension et la quantification des proxies qui permettent de reconstruire les changements océaniques passés;
  •  mieux évaluer les grands séismes océaniques présents et passés, depuis les mécanismes à la source et leurs récurrences jusqu’à la caractérisation des ruptures liées au plancher océanique;
  •  étudier le cycle du méthane océanique, de la genèse au stockage dans la colonne sédimentaire, et de là son influence sur la colonne d’eau et sa contribution potentielle vers l’atmosphère comme gaz à effet de serre.

 

Parmi les recherches du système Terre au présent et à l’échelle des temps géologique , les objectifs suivants ont été plus particulièrement identifiés :

  • Contraindre la circulation de fluides sous le plancher océanique et les sédiments marins (circulation hydrothermale, cold seeps, gaz,…) dans l’espace et dans le temps en relation avec l’activité magmatique, tectonique, sédimentaire et son impact sur la diversité des écosystèmes profonds et le bilan des éléments chimiques dans l’océan;
  • comprendre les relations magmatisme/tectonique aux dorsales lentes et ultra-lentes, ainsi que les édifices volcaniques (e.g. arcs, monts sous-marins…) où un grand nombre de processus et de structures restent encore méconnues (déformation liée aux failles transformantes, exhumation tectonique le long des détachements et en zones d’extension amagmatique, systèmes hydrothermaux très variables), avec leur impact sur la structure, la composition et le régime thermique de la lithosphère océanique qui reste à déterminer ;
  • comprendre les relations tectonique/magmatisme/sédimentation sur les marges continentales passives, élément géologique non négligeable à l’échelle du globe et finalement encore assez peu connu. Dans le domaine profond des marges, en contexte divergent et/ou transformant, l’exhumation de croûte inférieure le long de zone de détachements crustaux ou d'exhumation de manteau sous-continentale et ses relations avec la mise en place de systèmes hydrothermaux dans les domaines transitionnels sont encore très peu étudiés. Quels sont les impacts du passage entre une lithosphère continentale vers une lithosphère océanique sur la structure, la composition et le régime thermique de la lithosphère ?
  • comprendre la relation interconnectée « mud to mantle - source to sink », c’est-à-dire la relation entre les processus profonds et les processus de surface, ou encore déterminer le poids de l’héritage structural du socle sur la sédimentation (architecture et nature des dépôts),  jusqu'à quantifier le bilan sédimentaire complet prenant en compte : (1) le rôle de l’altération chimique (e.g. dissolution des silicates) versus celui de l'évolution des reliefs,  (2)  l'impact des variations climatiques,  (3) la détermination des sources continentales, (4) la quantification des piégeages continentaux et (5) le dépôt dans un système plus ou moins fermé ;
  • progresser sur le traçage de la source des sédiments marins, par le développement de proxies géochimiques sur la phase minéralogique et/ou l’archive fossiles;
  • fournir, en vue de modélisations numériques, les datations et les contraintes d’environnements de dépôts et intégrer les données géochimiques de l’archive sédimentaire et fossiles qui permettent l'évaluation de l’érosion des bassins-versants et de l’origine des sédiments, à l’´échelle des temps géologiques ;
  • étudier les processus non-linéaires dans les systèmes couplés océan-atmosphère-biosphère-Terre interne ;
  • poursuivre les efforts de recherche pluri-disciplinaires couplant la géodynamique, la géologie, la biologie, et la chimie sur la caractérisation des monts sous-marins dans les océans qui restent encore peu étudiés ;
  • les autres grands thèmes abordés en GM restent d’actualité, comme la chimie et la dynamique du manteau, la construction volcanique -échelle temps et espace-, la structure de la lithosphère océanique, et son évolution depuis sa formation aux marges continentales divergentes jusqu'à la subduction.

 

Il est important de souligner que ces nombreux défis nécessitent de développer de l’instrumentation de fond de mer - physique et chimique - afin d’obtenir des séries longues de données à haute résolution et d’aborder la dynamique des processus à l’échelle locale. Ceci implique non seulement d’augmenter le nombre d’instruments pour  élargir le nombre d’observations mais aussi de renforcer la R&D pour mieux automatiser le traitement des données et faciliter l’extraction d'informations utiles.

 

2.1.2       Physique et dynamique océaniques, Cycles du carbone et éléments, écosystèmes

Les grands enjeux de cette thématique restent d’observer, comprendre et modéliser les processus océaniques, leurs variabilités, leurs réponses au changement climatique et à la pression anthropique et leurs interactions avec les autres compartiments du système « Terre ». Le domaine côtier, en prise directe avec les questions environnementales (zones très peuplées à potentiel d’impact fort, par exemple par apports de polluants) et sociétales (services écosystémiques, ressources) est aussi un enjeu majeur pour la communauté scientifique. Il est urgent de comprendre les influences combinées des dynamiques marines et atmosphériques, physico-chimiques et écologiques et des apports des bassins versants côtiers, sur la variabilité naturelle des milieux littoraux (réseau trophique, efflorescences algales) qui sont interconnectés entre eux, avec le large et avec les milieux terrestres

Des enjeux plus spécifiques ont été identifiés pour les années à venir.

 

Processus Physiques

Les processus physiques qui contrôlent la dynamique océanique à grande échelle et sa variabilité butent aujourd’hui sur les questions fondamentales suivantes :

  • Quels sont les mécanismes (vus comme des enchaînements et interactions de processus d'échelles multiples) physiques, géochimiques et écosystémiques par lesquels l'océan va privilégier les structures spatiales et temporelles de ses variations basses fréquences, qu'elles soient forcées par l’atmosphère ou intrinsèques? Un des enjeux concerne l'intégration des processus de petite échelle spatio-temporelle pour les grandes échelles de temps de la variabilité climatique, en particulier dans celles pertinentes pour la circulation thermohaline et pour la pompe physique (et biologique) du carbone ainsi que pour les échelles très longues pertinentes pour la paléo-océanographie ;
  • comment l'océan redistribue-t-il ou dilue-t-il le changement climatique (i.e. les changements de contenu thermique et halin, CO2, oxygène ou encore méthane) vers les profondeurs et entre les grandes régions de l'océan? Et comment ces changements impactent et interagissent avec les différents écosystèmes ?
  • quel rôle particulier joue la dynamique des grands carrefours océaniques (courants de bord ouest, thermocline, seuils topographiques, zones inter-gyres, etc.,…) dans ces mécanismes? Cette question est cruciale dans des régions aussi variées que la zone de bifurcation des courants du Pacifique Sud-Ouest  ou que dans la région du Gulf Stream en Atlantique Nord ;
  • quels sont les déterminismes du phénomène El Niño dont l’occurrence, tributaire des conditions équatoriales et de la dynamique du bord est de la « Warm Pool », est encore incomprise ?
    • quels processus déterminent la genèse des cyclones (dynamique, échanges air-mer, etc.,…) ?

Le manque de connaissance sur ces questions est un verrou pour la compréhension des variations et changements climatiques et pour la quantification du bilan énergétique de l'océan. Les dynamiques étudiées sont complexes et ont souvent un caractère non-linéaire marqué, à l’origine de fortes interactions d’échelles, et peuvent comporter une dimension stochastique. Dans ce contexte, il est maintenant primordial de développer les mesures à haute résolution, pour disposer de bases de données couvrant une large gamme d’échelles.

 

 

Eléments chimiques

 Les éléments chimiques dans l’océan peuvent être bénéfiques pour le biota (ce sont les éléments nutritifs et micro-nutritifs) mais également avoir un potentiel toxique (comme certains métaux et métalloïdes, d’autres polluants organiques ou autres). L’étude de leur cycle est donc intrinsèquement liée à celle de leur transport physique, en prenant en compte les interactions avec les matrices telles que les particules et la matière organique, et à celle des écosystèmes.

  • Comment la structure et la diversité des communautés biologiques sont-elles régulées par et/ou régulent les flux des éléments mineurs et traces ? Importance des fixateurs d’azote, en particulier dans le Pacifique Sud-Ouest ?
  • Comment la pompe biologique est-elle modulée par ces échanges ?
  • Quelles sont les sources de ces éléments mineurs et trace, les facteurs de leur biodisponibilité et leur variabilité ?
  • Quels sont les rétroactions vers l’atmosphère et en particulier, peut-on améliorer les quantifications des émissions vers l’atmosphère de certains gaz à effet de serre (méthane et oxyde nitreux)?

 

Hautes latitudes

Encore très mal connus, les océans et les banquises polaires sont responsables d’importantes incertitudes sur notre compréhension du climat futur et de ses impacts sur les écosystèmes et le niveau global des mers (la fonte de la calotte polaire antarctique est à l’origine de la plus forte incertitude sur le niveau global des mers). Ils sont par ailleurs le théâtre des changements climatiques les plus rapides et les plus violents que nous connaissions actuellement sur le globe :

  • Evolution des calottes du Groenland et de l’Antarctique.
  • Rôle des  interactions océan-glace dans cette évolution.
  • Rôle des océans Arctique et Austral dans le puits de carbone global.
  • Evolution des banquises arctiques et antarctiques.
  • Acidification avec des écosystèmes potentiellement plus rapidement à risques que dans les autres régions du globe.
  • Changement de la répartition de l’eau douce avec des impacts sur la stratification et le renouvellement des eaux de fond océaniques…

 Il est donc fondamental pour la communauté nationale investie dans la recherche polaire de pouvoir accéder à ces régions, ce qui implique de disposer d’infrastructures spécialisées qui manquent crucialement en France à ce jour et de réfléchir à des solutions pérennes qui permettent de répondre aux défis majeurs que posent ces régions.

 

Micro-plastiques

 Des études émergentes pour lesquelles la communauté française est force de proposition concernent les micro-plastiques, présents dans toutes les régions de l’océan, et leur impact sur le biota que ce soit en hauturier et en côtier. Les environnements côtiers présentant un intérêt particulièrement fort pour l’homme (aquaculture, pêche, tourisme), il est urgent de mieux évaluer comment ces pollutions sont transférées à l’océan, de mieux déterminer l’origine et quantifier les flux de polluants et d’évaluer leur impact sur la qualité des eaux et des écosystèmes.

En conclusion, l’acquisition de plus d’observations in situ, souvent à plus haute résolution, couplant paramètres biogéochimiques fins (ex. : éléments traces), physiques et biologiques (ce qui peut être facilité par des capteurs automatisés) dans des régions contrastées de l’océan est nécessaire pour améliorer la capacité des modèles couplant physique-chimie et biologie à représenter le développement de la vie à différentes échelles de temps (de l’événement extrême à l’échelle de l’enregistrement « paléo » via la description d’un bloom ou d’une tendance décennale) et d’espace (modèle à l’échelle d’un bassin ou à l’échelle globale). Ces améliorations sont nécessaires afin de réduire les incertitudes sur les projections climatiques fournies par ces modèles, d’améliorer notre compréhension de l’évolution des cycles, des écosystèmes, des habitats des organismes et des niches écologiques des espèces sous l’effet du changement climatique et de la pression anthropique. Et in fine cela permettra d’avoir une meilleure quantification de l’impact de ces évolutions sur la pompe biologique, et donc sur le cycle du carbone.

Un important défi sera aussi de maitriser des systèmes d’observations à de multiples échelles, qui requerra aussi l’utilisation et le développement d’instrumentations dédiées et de vecteurs permettant une observation régulière et adaptative, qu’ils soient in situ (comme les gliders adaptés, vaisseaux d’opportunité…), ou à distance (satellites, radars…).

 

2.1.3       Biologie-Ecologie-Biodiversité

Dans le champ de l’écologie, on peut distinguer différentes communautés avec des priorités particulières.

  • Une forte communauté se concentre sur le domaine littoral et côtier (dont plateau interne et moyen), en métropole ainsi qu’en Outre-mer. Elle utilise principalement les navires de station, la flotte côtière et les deux N/O polyvalents de tailles intermédiaires dédiés aux régions tropicales. Quel que soit le chantier, les recherches actuelles s’intéressent au couplage benthos-pelagos et au continuum terre-mer et tendent à englober une échelle écosystémique avec une résolution spatiale et temporelle plus fine en vue d’aboutir à une modélisation intégrative. L’impact des usages anthropiques (écotoxicologie, eutrophisation, espèces introduites, développement des énergies marines renouvelables) et le contexte du changement global (réchauffement, modifications de la circulation océanique, acidification des océans, biogéographie changeante des espèces marines, érosion de la biodiversité et des habitats) imposent par ailleurs des études multiparamétriques, couplées à celles des océanographes physiciens et biogéochimistes, nécessitant des campagnes plus ambitieuses en termes d’équipements et de ressources humaines ;
  • dans le domaine hauturier pélagique l’ampleur de la diversité taxonomique (protistes) ou métabolique (procaryotes) mise en lumière ces dernières années impose de réviser certains schémas fonctionnels en y intégrant notamment le rôle clef des interactions biologiques durables avec l’identification de quelques zones chantier dans des contextes contrastés où ces processus seraient réexaminés en détail;
  • l'accès à la dynamique des communautés planctoniques, côtières et du large, en temps réel et à une résolution spatiale et temporelle fine, de par l'utilisation de capteurs et systèmes de collecte (semi-)automatisés, permettra de mieux caractériser la structure et le fonctionnement des écosystèmes côtiers et océaniques ;
  • dans l’étude des écosystèmes benthiques profonds, la communauté française est très reconnue sur le plan international grâce notamment aux moyens d’investigation dont elle dispose (submersibles : HOV, ROV, AUV). La perspective de futures exploitations énergétiques ou minières par grand fond renforce néanmoins l’urgence d’accroitre nos connaissances de ces milieux et, au-delà de l’inventaire qui reste largement à faire (explorations dans ou hors ZEE), d’accroitre les études sur la dynamique fonctionnelle des communautés potentiellement impactées, et sur la biogéographie et la connectivité des espèces et populations à préserver. Par exemple, la conservation des habitats coralliens profonds du golfe de Gascogne fera l’objet de négociations à l’échelle européenne dans les années à venir, suite à leur classement en sites Natura 2000. Les chalutages et dragages, susceptibles d’occasionner des destructions importantes, sont de moins en moins tolérés par les autorités même dans le cadre de la recherche scientifique. Le recours à des ROV (type SCAMPI ou autre) va devoir se généraliser pour les prélèvements ;
  • bien que cette activité soit de « Service Public », la demande du secteur public de surveiller et caractériser l'état écologique des écosystèmes benthiques et pélagiques en connexion avec les descripteurs d'état de biodiversité et de réseaux trophiques, ainsi que les différentes pressions associées (DCSMM), induit une contrainte croissante sur l’utilisation des navires.

 

2.1.4       Halieutique

Bien que demeure l’aspect « classique » de l’halieutique, marqué par une finalité opérationnelle d’évaluation des stocks pour la gestion des pêches, depuis plusieurs années le cadre de la recherche en halieutique évolue vers l’approche écosystémique des pêches, et plus récemment de toutes les activités humaines. Ce cadre se développe depuis une vingtaine d’années. Il s’appuie d’une part sur l’amélioration des connaissances dans des domaines scientifiques variés (biologie, écologie, océanographie physique, météorologie….) et les possibilités modernes de modélisation, et d’autre part sur les résolutions issues des sommets mondiaux (Cancun 1992, Reykjavik 2001, Johannesburg 2002…) et les politiques qui en découlent (PCP 1992, DCSMM 2008). Les thématiques halieutiques sont donc multiples : relations entre populations et environnement (couplage biologie-dynamique des masses d’eau), identification d’habitat essentiels au renouvellement des ressources, interactions multi-échelles entre pêche et biodiversité marines, impacts des déterminants économiques et de la gouvernance sur l’effort de pêche et les capacités de captures…L’utilisation de la FOF pour l’acquisition de ces données halieutiques couplée aux données environnementales, impossible ou très difficile à obtenir sur des navires de types professionnels, trouve ici toute sa justification. Il est attendu que cette collecte de données sera complétée dans le futur à partir d’autres plateformes (stations fixes, gliders, etc.,...).

Parmi les défis et verrous scientifiques les plus marquants on peut citer :

  • L’intégration d’échelles géographiques et biologiques pour une véritable approche écosystémique ;
  • les effets (additifs, synergiques, antagonistes) de stress multiples dans le cadre du changement global (réchauffement climatique, acidification, eutrophisation, pollution, invasions biologiques, altération des habitats, modification de la biodiversité, surexploitation, autres usages, etc…) sur les différents niveaux d’organisation (individus, populations, communautés, écosystèmes) ;
  • la prise en compte des compromis entre compartiments de l’écosystème et entre usages/secteurs dans la gestion des activités humaines et la conservation des écosystèmes marins ;
  • le développement de méthodes d’observations peu ou pas invasives (en remplacement au chalutage, mortel et destructeur d’habitat, par exemple).

 

2.1.5       Questions aux interfaces des communautés scientifiques

L’océan est un des compartiments de la Terre qui échange en permanence avec les autres (atmosphère, glace, continent). Quantifier ces flux échangés est la clef pour une description optimale du fonctionnement du « système Terre ». Par ailleurs, l’ensemble de la planète est affecté par les changements globaux, et cela quelle que soit l’échelle de temps et d’espace considérée: l’étude des interfaces entre océans, atmosphère et continents est donc à renforcer dans les prochaines années. Par ailleurs, les découvertes récentes sur l’importance des flux hydrothermaux d’éléments micro-nutritifs (Fe, Zn, Co, Cu…) ainsi que du rôle des marges océaniques sur leurs budgets incitent à intensifier les recherches sur ces milieux. Enfin ces questions d’interfaces sont cruciales entre disciplines pour lever des verrous cognitifs. Ce chapitre traite à la fois des interfaces entre compartiments du système terre mais aussi des questions « mécanistiques » importantes entre (par exemple) le vivant et le minéral.

Couplage Océan-atmosphère

  • Quantifier les effets des flux atmosphériques sur la dynamique océanique et des écosystèmes ainsi que les rétroactions de ceux-ci vers l’atmosphère (émissions marines, impact radiatif, impact sur la formation des nuages et le climat) permettra d’améliorer les modèles de climat. Nos connaissances sur les émissions biogéniques marines vers l’atmosphère sont très parcellaires et cette rétroaction n’a pour le moment pas été quantifiée. Un des enjeux est de réaliser ces mesures couplées des différents flux à travers cette interface pour comprendre l’effet de ces émissions ainsi que leur origine physico-chimique ou biologique.
  • Par ailleurs, les effets du « Black Carbon » sur le fonctionnement biogéochimique et microbien de l'écosystème pélagique restent trop peu documentés. Des mesures existent sur les continents et ponctuellement en zone côtière, mais pas en hauturier. Une recommandation est de développer plus systématiquement ce type de mesure.
  • Le rôle de l’océan Austral dans les échanges océan-atmosphère de CO2, la fragilité de sa biologie en regard à l’acidification des eaux de surface, la dynamique des micro-nutritifs et l’identification des facteurs limitants de la production primaire dans ces hautes latitudes sont encore des points non résolus. Il est fortement recommandé de donner les moyens à la communauté pour explorer au mieux l’océan Austral.

 

Transition continent-océan

  • Les systèmes générés entre les eaux continentales et marines dans les estuaires et plumes et au sein des plateaux et marges (fronts de dilution, fronts thermiques, courants, marée) structurent de façon complexe, permanente ou temporaire, les différents écosystèmes pélagiques, leur inter-connexion et leurs connexions avec les systèmes benthiques : ces mécanismes conditionnent et limitent parfois la production biologique et la diversité des communautés présentes. Ces mécanismes physiques, hautement variables, sont complexes à contraindre. Ils requièrent des suivis à haute résolution, temporelle comme spatiale ;
  • la quantification des transferts des espèces chimiques (contaminants ou naturels) entre continents et océans est aussi essentielle que mal connue. Il s’agit d’identifier les flux libérés à partir de la matière déchargée par les fleuves et/ou des sédiments des marges et/ou encore par les décharges d’eau souterraine et de comprendre pourquoi certains contaminants s’enfouissent durablement alors que d’autres sont libérés depuis la matière solide à la rencontre du front salin. Les mécanismes physiques qui favorisent la libération d’espèces chimiques par remise en suspension des sédiments sont a priori des processus intermittents (écoulements dans les zones de fractures, canyons, pockmarks, tourbillons de petite échelle, ondes internes et mélange, évènements gravitaires, etc.,…).  Etudier ces mécanismes et le continuum bassin versant-océan –en particulier en périodes de crues, vecteurs de la majorité des dépôts sédimentaires annuels- requièrent des collaborations renforcées entre physiciens et géochimistes, entre les communautés scientifiques, mais aussi des navires capables de réactivité (lors d’événements météorologiques extrêmes par exemple;
  • les questions relatives à la dynamique et à la préservation des habitats marins sont cruciales. Dans un système en équilibre, le sédiment  et les vasières fournissent un habitat physique qui est modifié en retour par l’activité biologique (fouisseurs, espèces ingénieures etc..). De même, si on observe un forçage des herbiers sur le substrat, l’inverse aussi se produit. En zone tropicale,  les récifs coralliens jouent un rôle de construction du substrat et abritent des niches écologiques. Le changement climatique et l’élévation du niveau de la mer, les tempêtes et les érosions induites génèrent une réduction de ces habitats, avec des conséquences majeures sur la ressource marine, l’économie côtière en particulier dans la zone inter tropicale ;
  • la gestion responsable des activités portuaires et des ressources marines et côtières, tant en matière de pêche, que de conchyliculture ou d’énergies marines ne peut se faire que par une approche systémique, intégrant les milieux physiques et biologiques et les aspects socio-économiques. La thématique des nurseries côtières, récente et en plein essor, nécessite un effort particulier en matière d’acquisition des données et d’amélioration des connaissances. Par exemple, trop peu de recherches sont conduites aujourd’hui sur les impacts écologiques de l’exploitation des granulats marins : les études sont trop courtes, trop localisées et n’abordent pas les effets de la turbidité à moyen terme sur les nurseries par exemple. L’intensification de l’exploitation minière de surface et profonde (P, Ni, Cd, métaux…) et les perturbations induites par ces activités en particulier sur la chaîne trophique (accumulation-détoxification) rendent urgentes ces quantifications;
  • d’une manière plus générale, la qualité de l’eau, de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes sont des problématiques transversales et des conditions essentielles à la préservation des écosystèmes et des activités humaines qui en dépendent. Ce sont des enjeux majeurs de gestion intégrée à l’interface terre-mer (DCE, DCSMM).

 

Pour toutes ces questions touchant au milieu côtier, les réflexions prospectives ont souligné l’importance de travailler à l’échelle écosystémique: très peu d’études des écosystèmes font un bilan de masse, impliquant les producteurs primaires et secondaires à échelle de l’écosystème. Les études in situ étant souvent ponctuelles dans l’espace, le changement d’échelle vers l’échelle écosystémique devra pouvoir être faite en lien avec la télédétection. En effet, les nouveaux satellites ont une résolution spatiale et spectrale qui devrait permettre l’étude des écosystèmes côtiers (résolution spatiale) pour un lot de paramètres plus large (matière organique dissoute et particulaire, taxa phytoplanctoniques, résolution spectrale), en lien avec des nouveaux capteurs et systèmes de collecte automatisés.

Pour maitriser les flux, du sédiment vers l’eau, du sédiment vers l’air (zone intertidale) et vers l’océan, il faut des contraintes dynamiques adaptées.

 

Le développement indispensable de ces études écosystémiques doit s’accompagner de navires permettant la réalisation de travaux pluridisciplinaires. En outre, il faut se doter de moyens pour réagir aux impacts d’évènements extrêmes (crues, tempêtes, submersion littorale). Les moyens de la flotte et la programmation des navires ne permettent pas toujours cette réactivité. Les services d’observations (SOMLIT, MOOSE, Coast-HF), les « ferrybox » déployées sur les navires de la Brittany Ferry sont autant de moyens de « surprendre » un évènement soudain. Il est donc recommandé de développer des capteurs automatisés à déployer sur les navires, en lien avec l’évolution des capteurs satellitaires.

 

Interface terre profonde-océan : l’hydrothermalisme marin

La circulation hydrothermale résulte de la percolation d’eau de mer dans les sédiments marins et la lithosphère océanique. La composition physico chimique de l’eau est drastiquement modifiée par les interactions eau-roche. L’eau de mer initiale est transformée en un fluide hydrothermal présentant des caractéristiques chimiques soit acide, réductrice et fortement enrichie en métaux pour l’hydrothermalisme de haute température, soit hyperalcaline, réductrice et fortement enrichie en alcalin pour l’hydrothermalisme de basse température (<120°C). Sur les 50 dernières années, les recherches ont mis en évidence la grande diversité et l’ampleur de ces phénomènes, à la fois de hautes et basses températures, dans des substrats basaltiques, dacitiques et péridotitiques, dans des contextes d'accrétion et de subduction. La dynamique de l’activité hydrothermale impacte non seulement la composition chimique de la lithosphère océanique et de l'océan profond mais aussi le fonctionnement la diversité des écosystèmes profonds. En résumé, la quantification des transferts de matière et de chaleur liée à la dynamique hydrothermale reste mal connue dans le temps et l’espace et nécessite d’être contrainte. Dans ce large champ pluridisciplinaire, les principales questions portent sur le devenir de ces flux hydrothermaux dans l’océan et leur rôle dans les bilans et cycles biogéochimiques, l’origine et la nature des ligands qui stabilisent ou non les micro-nutriments dans l’eau de mer, leur distribution entre les phases dissoute et particulaire et donc leur bio-disponibilité pour les écosystèmes profonds et de surface, en particulier pour les diazotrophes dans l’océan Pacifique ou, par le biais de la circulation, une fertilisation partielle de l’océan austral.

La quantification des flux hydrothermaux, qui passe par la caractérisation de la géométrie de circulation, par celle des moteurs de cette circulation (thermique? tectonique?) et par la compréhension des mécanismes des interactions eaux-roches, est un des enjeux majeurs de l'étude des transferts de matière et d'énergie entre les grands réservoirs géochimiques. Ces études requièrent des accès aux engins d’exploration profonde, une récurrence des campagnes, des campagnes multidisciplinaires et nécessitent donc l’accès à des grands navires hauturiers.

 

Interface chimie-biologie –physique (tous compartiments)

Les métaux en traces « micro-nutritifs » sont reconnus comme des éléments nutritifs car sans eux, pas de vie. Cependant, la compréhension des conditions qui les rendent biodisponibles, leur comportement lors de la reminéralisation de la matière organique, et leurs sources (internes comme externes à l’océan) sont autant de verrous qui impliquent des travaux à la frontière entre transport, spéciation chimique fine et développement biologique. La compréhension des processus en jeu entre la cellule vivante et les substances chimiques est encore balbutiante. C’est une frontière « mécanistique » majeure, qui met en jeu les techniques les plus modernes d’observation de la matière et d’identification de la spéciation chimique et biologique.

Les études biogéochimiques sont indissociables des questions de dynamique de l’océan et des échanges à l’interface air-mer. En particulier les processus de méso et sub-mésoéchelle océanique affectent les grandes échelles au travers d’échanges énergétiques (et notamment les flux verticaux à fine échelle), et un des enjeux consiste à quantifier leurs impacts sur la stratification, sur les flux verticaux de carbone et de tous les nutriments, qui sont des facteurs clés dans le changement climatique. Le rôle critique de la circulation sub-mesoéchelle et du mélange vertical dans la régulation de la structuration des communautés microbiennes planctoniques, de la production primaire et de l'exportation de carbone organique est de plus en plus évident, comme le montrent les récentes observations satellitaires, les mesures in situ et les simulations de modélisation. La combinaison de telles observations avec des instruments optiques fournira un aperçu unique de la distribution des particules et des exportations de particules à des échelles sans précédent. On peut également mentionner l'impact potentiel de la production primaire (surtout le phytoplancton) sur le bilan de chaleur océanique via son impact sur la pénétration lumineuse dans la couche de mélange. Ce type de paramètres (Chla, pigments) doit donc être pris en compte et mesuré plus souvent. Cela est fait systématiquement sur les campagnes PIRATA-Fr depuis 6 ans par exemple et avec les flotteurs Argo via le développement de la composante BGC-Argo.

Il s’agira également de quantifier les flux d’éléments d'intérêt biogéochimiques ou toxiques, de comprendre et quantifier les échanges entre les phases particulaires et dissoutes en fonction des conditions biogéochimiques du milieu (T, pH, type et quantité de MOD) et de la dynamique microbienne associée ce qui permettra d’identifier la biodisponibilité de ces éléments.

Seules des études pluridisciplinaires associant chimistes, biologistes et écologistes aux physiciens spécialistes de la petite échelle et les équipements à la mer associés (systèmes de prélèvement propres, incubations, collectes de particules, etc.,…) permettront de progresser sur ces questions.

 

2.1.6       Défis de l‘Outremer

 

La Flotte Océanographique Française permet de répondre aux enjeux et défis de l’outre-mer français. Si les outremers sont des régions essentielles pour étudier des processus de pertinence globale illustrés dans les chapitres précédents (2.1.1 à 2.1.5), des questions plus spécifiques sont abordées en collaboration avec les pays émergeants :

  • Biodiversité: du gène aux populations/connectivité/inventaires de biodiversité dans les zones éloignées et très peu fréquentées, études du fonctionnement des écosystèmes associés ;
  • Bioressources : recherche de nouvelles substances naturelles (venins, molécules anticancéreuses,…), de nouvelles espèces bactériennes, etc.,… 
  • Suivi des écosystèmes coralliens et associés (récifs, herbiers et mangroves) en parallèle avec les différents impacts du changement global (crises de blanchissement corallien, prolifération d’étoiles de mer prédatrices du corail, espèces envahissantes, relation avec les populations d’oiseaux marins, etc.,…
  • Analyse des effets de la surexploitation (petits et grands pélagiques, requins, poissons coralliens, etc.,…) ;
  • Impact des autres pressions humaines (destruction des habitats, pollution, contamination, etc.,…) ;
  • Amélioration des connaissances sur les écosystèmes pélagiques hauturiers (thonidés, requins, cétacés etc.,…) ;
  • Poursuivre la découverte, l’exploration et l’étude de milieux singuliers exceptionnels :
    • source ultrabasique d’Hydroprony en Nouvelle Calédonie située à très faible profondeur ;
    • récif corallien de l’île volcanique d’Ambitle exposé à une simulation du changement climatique (T° et concentration en CO2 plus élevées) ;
    • îles « sentinelles » sans impact humain pour évaluer les variations d’habitats et de communautés associées aux différentes composantes du changement global.

 

Des chantiers ciblés sur l’outremer se développent en Atlantique (Guyane, Antilles, Afrique Occidentale), Indien(Mozambique) et Pacifique. Ces questions peuvent toucher à la fois le milieu côtier, insulaire et l’océan hauturier. Dans le cas du Pacifique, la pression de recherche et la dimension des transits imposés rendent nécessaire de maintenir dans le futur la disponibilité d’un navire tel que le N/O Alis basé à Nouméa.