Des nouvelles du fond

Pouvez-vous nous rappeler les objectifs scientifiques des missions Momarsat ?

Marjolaine Matabos :

Les missions Momarsat se déroulent, depuis treize ans, au niveau du champ hydrothermal Lucky Strike, à 1700 mètres de profondeur, sur la dorsale médio-atlantique. Elles sont dédiées à la maintenance de l’observatoire Emso-Açores*. Deux nœuds d’énergie déployés au fond alimentent des instruments chargés de mesurer tous les jours les variations de sismicité, la déformation du plancher océanique, la chimie des fluides ou encore d’observer la faune et son habitat. Tous les ans, il nous faut récupérer les plateformes, changer les batteries, effectuer l’entretien et la maintenance des instruments et des capteurs et les reposer au fond. On profite de l’opportunité d’être en mer pour accomplir également un vaste programme d’échantillonnage de fluides, de faune, de roches mais aussi des transects visuels afin d’observer la distribution des habitats et des espèces.

Jozée Sarrazin :

Nous nous consacrons à l’étude des processus hydrothermaux à travers plusieurs disciplines, la géologie, la géophysique, la chimie, la biologie et à leur influence sur la faune hydrothermale. Nous tentons de définir les facteurs géologiques, sismiques qui contrôlent la circulation d’eau de mer dans la croûte océanique et comment cela influence la chimie des fluides et la distribution des organismes. Nous étudions également la réponse de ces organismes face à ces variations environnementales dans le temps mais aussi dans l’espace.

Quand cette idée de bande dessinée mettant en scène une campagne océanographique a-t-elle émergé ? 

Marjolaine Matabos :

C’est une réflexion de longue date. Nous portions toutes les deux cette idée de bande dessinée, motivées par l’envie de raconter au grand public les sources hydrothermales et les ressources minérales marines profondes devenues un enjeu de société majeur. C’est Nicolas Le Roy, matelot chez Genavir et auteur de l’ouvrage Brest à quai avec Damien Roudeau, qui nous a proposé de rencontrer Damien, en 2019.

L’embarquement, vivre une campagne océanographique de l’intérieur, était essentiel, selon vous, pour lui donner l’inspiration et l’envie de creuser ce sujet ?

Jozée Sarrazin :

En effet, il fallait l’immerger dans ce qu’on faisait, qu’il rencontre les gens du bord, scientifiques et marins, qu’il découvre ce qu’est un observatoire, ce que sont les grands fonds et les ressources minérales. L’idée c’était de l’embarquer lors de l’une de nos campagnes et, en contrepartie, qu’il nous accorde le droit d’utiliser ses productions du bord. Plus de cent dessins en trois semaines de mission ! Ses croquis à bord, c’est son premier matériau, celui qui raconte la vie en mer et l’observatoire. Des nouvelles du fond. Nous aimerions bien les publier au sein d’un journal de bord. Pour la bande dessinée, c’est un tout autre travail, il doit bâtir un scénario et surtout mener des recherches pour étayer son discours. Elle devrait être publiée d’ici un an ou deux.

Cette nouvelle expérience a-t-elle répondu à vos espoirs, à vos attentes ?

Marjolaine Matabos :

C’est même allé bien au-delà. Par son attitude et ses réalisations, Damien a créé une incroyable cohésion à bord. “Damien et ses dessins”, c’est ce qui a donné une saveur nouvelle à cette mission. Il affichait ses croquis dans la coursive et tout le monde pouvait les annoter ou participer. C’était très fédérateur. L’ampleur de sa production est impressionnante. Il a raconté dans les détails, avec une grande justesse et beaucoup d’humour, la vie à bord. La campagne demeure, grâce à lui, toujours vivante.

* Emso-Açores fait partie intégrante de l’infrastructure de recherche Emso-Eric (European Multidisciplinary Seafloor and Water Column Observatory-European Research Infrastructure Consortium).

Damien Roudeau se consacre depuis 2001 au reportage dessiné pour la presse, en carnet pour l’édition ou en installation dans l’espace public. Il privilégie les sujets au long cours, envisageant le carnet de croquis comme une pratique exploratoire, là où le dessin et la vie se confondent. Damien Roudeau a été récompensé à de nombreuses reprises : prix du jury Grands Reportages pour Portraits cachés (2002), grand prix et prix de l’écriture de la Biennale du Carnet de Voyage pour De Bric et de broc (2006), grand prix des écrivains voyageurs (2008), prix spécial du Jury MSF du carnet engagé pour Matin rouge (2008), prix spécial du carnet multimédia Vidéoformes pour Passport (2010).