Interview des chefs de mission de la campagne SMARTIES

 

 A bord du Pourquoi pas ?, durant 44 jours :

Campagne SMARTIES (Smooth regions at the Mid-Atlantic Ridge Transform-Intersections under extreme thermal gradients)

Du 12 juillet au 24 août 2019

Chefs de mission interviewés :

Marcia Maia, géophysicienne (CNRS-Université de Brest, France)

Daniele Brunelli, pétrologue (Université de Modène, Italie)

Au niveau de l’intersection entre la dorsale Médio-Atlantique et la faille transformante de la Romanche, la mission SMARTIES avait pour objectif d’étudier les processus tectoniques et magmatiques actifs par bathymétrie haute résolution et à l’aide de plongées avec le Nautile.

Lors de cette mission 25 plongées ont été effectuées, jusqu’à 6028 mètres d’immersion,  avec six plongées de plus de 5000 mètres.

19 OBS ont été déployés, des levers avec le sondeur multifaisceaux ont été mis en œuvre (afin de compléter la couverture bathymétrique de la zone d’étude et d’améliorer la résolution des cartes des zones de plongée), ainsi que des profils avec le sondeur de sédiments, le gravimètre et le magnétomètre de surface, des échantillons ont été prélevés in situ et 19 profils magnétiques fond de mer ont été réalisés avec le sous-marin.

L’équipe scientifique était composée de chercheurs de différentes spécialités et de plusieurs instituts de recherche et d’un vaste champ disciplinaire : modélisation numérique, géophysique, géologie structurale, tectonique, pétrologie, géochimie…

Pays et institutions :

  • France (CNRS, Université de Brest, Université de Lille, Université de Lyon, Université de Toulouse, IPGP) ;
  • Italie (CNR-ISMAR Bologne, Université de Modène, CNR-IGAG Rome) ;
  • Norvège (Université de Bergen) ;
  • Mexique (Université de Mexico) ;
  • Espagne (CSIC, Barcelone) ;
  • petite entreprise spécialisée dans l’analyse géochimique (SEDISOR, Plouzané).

Sur la Toile :

 Le blog de la campagne 

 Le blog pour les plus jeunes 

 Le blog de UNIMORE 

Vous avez participé à la campagne SMARTIES, quels en étaient les objectifs ?

Nos objectifs étaient ambitieux : d’une part, la compréhension des processus à l’origine d’une région exceptionnellement froide dans le manteau terrestre et, d’autre part, mieux cerner l’influence de ce manteau froid dans les processus de construction de la lithosphère et de la croûte océanique à l’axe d’une dorsale. On pourrait ainsi mieux comprendre la transition morpho-structurelle entre les dorsales lentes et ultra-lentes.

C’est un sujet majeur pour la communauté de géosciences internationale. La zone d’étude est exceptionnelle : il s’agit de l’intersection entre l’énorme faille transformante de la Romanche et la dorsale Médio-Atlantique. C’est l’endroit idéal pour cette étude, car le très grand décalage axial, de près de 1000 kilomètres, induit un très fort gradient thermique à l’axe de la dorsale.

Quel est le lien avec le projet TRANSATLANTIC-ILAB ?

Notre coopération a commencé avec l’idée d’intégrer des observations à l’échelle régionale afin de mieux comprendre les processus à l’échelle locale. Pendant la campagne SMARTIES nous avons réalisé une coupe géologique avec des observations et échantillonnage in-situ avec le Nautile au niveau du profil sismique Nord-Sud du projet ILAB.

Cette coupe a été réalisée avec trois plongées du Nautile sur le mur nord de la Romanche, complétée par une plongée supplémentaire sur le mur nord au niveau du bassin nodal (proche de l’intersection avec la dorsale). Elle fournira des contraintes importantes pour l’interprétation des profils sismiques de ILAB.
 
 Le projet TRANSATLANTIC-ILAB

Dans quelle zone géographique s’est déroulée la campagne ?

La campagne s’est déroulée dans l’Atlantique Équatorial au niveau de l’intersection orientale entre la faille transformante de la Romanche et l’axe de la dorsale Médio-Atlantique. La Romanche est la plus longue transformante de l’Atlantique et décale l’axe de la dorsale de presque 1 000 kilomètres.

Comment déterminiez-vous les sites de plongées ? 

Le choix des sites de plongée fait l’objet d’un travail de réflexion à partir de toutes les informations disponibles. Dans notre cas, nous avions des données bathymétriques anciennes, ainsi que des prélèvements par dragage, auxquelles on a ajouté les données haute résolution acquises avec le sondeur multifaisceaux dans les jours précédant les plongées.

Une formidable équipe technique a assuré le traitement des données en temps réel nous permettant d’avoir une vision actualisée et de grande qualité des sites explorés. L’ensemble de ces observations nous a donné une bonne idée de la nature du fond et de sa structure, nous permettant d’ajuster les hypothèses sur les mécanismes tectoniques et magmatiques actifs dans la région. Cela nous a permis de bien cibler les sites de plongée, afin de caractériser la nature des failles, des zones d’activité volcanique et de comprendre les mécanismes qui les génèrent.

En quoi le Pourquoi pas ? était-il approprié pour cette mission ?

Il s’agit d’un navire permettant l’embarquement d’une équipe scientifique nombreuse et une base optimale pour l’utilisation du Nautile lors d’une campagne de longue durée. Dans notre cas, nous étions presque au complet, avec neuf personnes pour l’opération du Nautile, trois ingénieurs pour les OBS, quatre ingénieurs pour l’opération du sondeur multifaisceaux et 21 scientifiques, dont des étudiants en Licence, Master et en thèse. C’est une plateforme de choix pour le déploiement de plusieurs engins lourds.

Les données obtenues sont excellentes. Cependant, nous allons monter un nouveau projet pour retourner sur zone avec le nouveau AUV 6000 (projet CORAL). Ce volet du projet originel n’a pas pu se faire.

En quoi le Nautile était-il approprié pour cette mission ?

SMARTIES était une campagne très exploratoire. Nous connaissions mal la morphologie de détail de la zone d’études et avions plusieurs hypothèses sur la nature des structures présentes. Le Nautile est un engin de fond approprié pour ce type d’opération, car il permet une grande liberté de mouvements au fond.

Plusieurs fois, le scientifique a opté pour un tracé de plongée différent de celui proposé initialement. Notamment, lors de la dernière plongée, l’exploration du site hydrothermal s’est faite au fur et à mesure des observations acquises au fond ; le tout avec souplesse et rapidité, optimisant au maximum les heures passées au fond.

En outre, le sous-marin a une grande capacité d’emport et nous avons pu remonter en tout environ 2,2 tonnes d’échantillons, ce qui fait environ 90 kilos par plongée. Avec six plongées à plus de 5000 mètres d’immersion dont trois à plus de 6000 m, et seulement quatre sur les 25 à moins de 4000 m, c’est une campagne avec beaucoup de records pour le Nautile.

Quelques photos prises depuis et par le Nautile 

Quels types d’échantillons avez-vous ramené ?

Nous avons ramené une très grande variété d’échantillons. Des roches du manteau (péridotites), en général très déformés, une petite quantité des gabbros, représentant des roches de la croûte inférieure et beaucoup de basaltes. Les basaltes étaient tous assez frais avec des grandes quantités de verre témoignant leur éruptions récente au long des structures explorées. Un nombre important d’échantillons est représenté par des roches métamorphiques qui témoignent de l’interaction hydrothermale au fond de l’océan et pendant l’intrusion des roches magmatiques dans la croûte océanique. Nous avons aussi obtenu des vidéos et des photos de haute résolution, et sur 19 des 25 plongées, des profils magnétiques fond de mer, faits avec le sous-marin.

 

Pouvez-vous dresser un premier bilan de cette campagne ?

Le premier bilan est enthousiasmant ! Nous avons identifié des structures tectoniques jamais décrites auparavant, qui nous montrent la formation du plancher océanique par le biais de nouveaux mécanismes. Les données de surface (bathymétrie, magnétisme et gravimétrie) sont d’excellente résolution et qualité. Cet ensemble,  avec l’échantillonnage précis et détaillé que le Nautile a assuré à ces profondeurs impressionnantes, nous permettra de définir des paradigmes tectoniques et magmatiques nouveaux et de construire des modèles permettant la compréhension des processus actifs sur les dorsales lentes et ultra-lentes, comme la dorsale Sud-Ouest Indienne ou les dorsales arctiques.

La campagne SMARTIES avait-elle une particularité ?

SMARTIES a été une campagne très féminine. Dans l’équipe scientifique, nous étions 12 sur 24 scientifiques, donc la moitié (parité absolue), et côté plongée, nous étions 10 sur 13, un vrai record !