Rencontre avec Christine David-Beausire, directrice adjointe et directrice scientifique de la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer

Christine David-Beausire a rejoint la direction de la Flotte océanographique aux côtés de son directeur Olivier Lefort, le 1er septembre 2021. De l'Arctique à l'Antarctique, la nouvelle directrice scientifique de la très grande infrastructure de recherche a bien bourlingué et affronté de près les quarantièmes rugissants, les glaces, le froid, les milieux hostiles. Habituée “des endroits où l'humain ne vit pas naturellement”, l'ancienne directrice adjointe de l'Institut polaire français Paul-Émile Victor perçoit de nettes similitudes entre les deux organismes.

Avant d'être nommée directrice adjointe et directrice scientifique de la Flotte océanographique française, tu as été directrice adjointe à l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), ainsi que directrice adjointe de l'Institut universitaire européen de la mer (IUEM) en charge de l'observatoire marin. Comment est né ton attrait pour les sciences ? Quel a été ton parcours ?

Cela s’est fait un peu tout seul. Lycéenne, j’aimais aussi bien l’histoire, la littérature, que les sciences, et je n’avais pas d’idée de métier particulier. Le baccalauréat en poche, j'ai souhaité m'orienter vers les grandes écoles et j’ai choisi une prépa HEC, ce qui ne m'a finalement pas convenu. Un an plus tard, convaincue par cette expérience de ma préférence pour les sciences, je suis entrée à l'université en physique fondamentale. Issue d’un milieu modeste, j’ai fait toutes ces années d'études, jusqu'au DEA, en travaillant en parallèle. J’ai notamment été chauffeur de taxi à Paris et j’ai aussi beaucoup fréquenté le milieu du spectacle où l’on pouvait travailler le soir, après les cours. J’ai acquis ce faisant des expériences diverses. Au fil des années, l’astronomie m’attirait de plus en plus et j’ai choisi un DEA en astronomie et techniques spatiales. Mais le sujet de stage qui m’intéressait le plus n’était pas compatible avec mon obligation de subvenir à mes besoins. Nous avions alors un professeur, Gérard Mégie, passionnant et charismatique, spécialiste de l'atmosphère et du climat, qui donnait un cours sur l’ozone dans l’atmosphère et la façon dont on pouvait le mesurer depuis l’espace. À l’époque, on avait découvert depuis peu le fameux trou dans la couche d’ozone : c’était la première problématique environnementale à l’échelle globale à émerger aux yeux du public. J’ai soutenu ma thèse “Étude des nuages stratosphériques polaires et des aérosols volcaniques en régions polaires” en janvier 1995. Mon post-doc s'est déroulé en partenariat avec mon labo de l’époque – devenu depuis le laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations spatiales (LATMOS) – et l’université de Cambridge. En 1997, j’ai finalement obtenu un poste de chercheure au conseil national des astronomes et physiciens (CNAP), corps de recherche dédié aux observatoires et piloté par l’institut national des sciences de l’univers du CNRS.

Au cours de toutes ces années de recherche, quelles relations avec le monde polaire as-tu nouées ?

J’ai mené toute ma carrière de chercheure en travaillant sur les régions polaires. Comme je connaissais bien la communauté polaire et les problématiques liées aux opérations scientifiques sur le terrain, il était assez naturel de rejoindre l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV). Ce que j’ai particulièrement aimé, c’est l’aspect structuration, la réflexion sur la mise en place optimale des outils nécessaires au déploiement de la recherche. J’ai apprécié la dimension pluridisciplinaire de l’exercice, la richesse d’avoir à comprendre les enjeux et les contraintes opérationnelles de domaines scientifiques très divers qu’il faut combiner sur le terrain, dans des espaces de station restreints et sur des temps courts. L’enjeu est d’orchestrer au mieux la mise en place d’opérations scientifiques ayant des contraintes pas forcément compatibles entre elles et de répondre dans le même temps à des questions scientifiques essentielles.

Perçois-tu précisément des similitudes entre l’Institut polaire français Paul-Émile Victor et la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer ?

Dans l’esprit, dans le schéma de principe, la Flotte océanographique française me semble très proche de l’Institut polaire. Ces deux organismes ont pour mission de fournir des infrastructures opérationnelles qui permettent à la recherche de se déployer, à grande échelle et de manière continue, dans des endroits difficiles d’accès, où les implantations humaines usuelles n’existent pas. En zone polaire, il faut des stations ou des plates-formes mobiles qui créent des bulles dans des milieux glacés, tandis qu'en mer et sous la mer, il faut des navires et des engins sous-marins qui créent ces bulles dans le milieu aquatique ou permettent d’y accéder. Ces plates-formes sont des outils indispensables pour conduire des activités de recherche dans des environnements hostiles où l’humain ne vit pas naturellement.

Que retiens-tu de ces campagnes d'été passées en régions polaires ?

J’ai commencé ma thèse en Arctique, entre la Suède et la Finlande, pendant l’hiver 1991-92, lors de la première grande campagne européenne sur l’ozone. À partir de 1997, j’ai pris peu à peu la responsabilité du volet antarctique du réseau NDACC (Network for the detection of atmospheric composition change). Je compte six campagnes en Arctique, deux dans les îles subantarctiques et sept en Antarctique, d’une durée de deux à quatre mois, notamment durant l’été austral sur la station antarctique Dumont d’Urville. J’ai adoré ! C’est une petite communauté au sein de laquelle on vit complètement libéré du quotidien et détaché de toutes les contingences. On est concentré sur son travail et, le reste du temps, on s’entraide, tant pour les tâches communes que pour la science ou la logistique. Le dépaysement est à la fois environnemental et social : on vit avec des personnes que l’on ne croise pas forcément dans son environnement habituel. J’ai d'ailleurs rencontré celui qui est devenu mon mari à Dumont d’Urville. Ce sont des expériences de vie et de recherche rares. Je n’avais pas d’attirance particulière pour les pôles avant d’y aller. Mais une fois que tu y as mis les pieds, tu ne peux plus t’en passer.

Qu’est-ce qui t’a finalement conduite à rejoindre l'Ifremer ?

Les mondes marin et sous-marin sont loin de m’être inconnus. J’ai pratiqué la plongée dès mes années universitaires, très intensément pendant 25 ans. Côté professionnel, j’ai travaillé à l’Institut universitaire européen de la mer (IUEM) entre 2012 et 2018. Observatoire des sciences de l’univers du CNRS/INSU, il regroupe les laboratoires académiques en sciences de la mer de la pointe Bretagne (dont des unités mixtes Ifremer). J’en ai été la directrice adjointe, avec pour mandat de structurer et dynamiser les systèmes d’observation marins de l’IUEM et l’un des axes forts était le lien avec l'Ifremer. J’ai notamment co-piloté avec un collègue de l'Ifremer du laboratoire d'Océanographie physique et spatiale (LOPS) la labellisation en service national d’observation du réseau COAST-HF. Je présidais également le comité local d’évaluation pour le navire de station de l’IUEM, l’Albert Lucas.

Je connaissais donc déjà l'Ifremer et la Flotte océanographique française de l’extérieur. Étudiante, j’ai voulu apporter ma pierre à la compréhension d’une problématique environnementale globale. Aujourd’hui, les océans sont au cœur de ces questions. L'Ifremer est “LA” grande maison française du monde marin, alliant connaissance et utilisation, et garantissant que la seconde s’appuie sur la première. Pour moi, rejoindre l’Ifremer, c’est contribuer à une aventure collective, au cœur d’enjeux scientifiques, technologiques et opérationnels, mais également environnementaux et sociétaux.

Après ces trois premiers mois, quelle perception as-tu de ton poste ? Quelles sont tes priorités ?

J’apprécie de travailler dans un environnement où il y a une vraie vision avec une direction affichée et des objectifs clairs. On prend le temps de la réflexion, de la consultation. Les sujets sont intéressants et variés. Il s'agit pour moi là encore, de bien comprendre les enjeux des autres disciplines, de saisir ce que cela implique pour chacun au niveau opérationnel. Mes missions consistent à faire vivre les instances scientifiques de la Flotte océanographique française, à produire des indicateurs de son activité, mais aussi à être à l’interface entre Flotte et communauté scientifique. Je conçois mon rôle comme celui d’un médiateur entre les uns, scientifiques, et les autres, marins : il me faudra réussir à traduire les différents “langages”, pour que ces deux communautés se comprennent au mieux. Je m’appuie sur une petite expérience du monde marin à mon niveau, car en tant que brevet d’état de plongée sous-marine depuis 30 ans, j’ai longtemps exercé dans des clubs de plongée, notamment en pilotant et en entretenant les bateaux, du zodiac aux navires de 12 à 15 mètres.