Rencontre avec Sarah Duduyer, ingénieure navale à la barre du nouveau navire semi-hauturier Manche Atlantique

Originaire de l’île de Ré, Sarah Duduyer nourrit depuis l’enfance une passion pour l’océan, la navigation, la construction navale. Après avoir étudié à l’École centrale de Lyon et achevé son cursus d’ingénieur à l’université de Southampton en Angleterre, elle intègre l’Ifremer en 2004 au sein de l’unité Navires et systèmes embarqués. En 2017, Sarah Duduyer orchestre avec brio la modernisation du Thalassa. Elle pilote, désormais, la construction du nouveau navire semi-hauturier qui devrait voir le jour en 2025. Une étape majeure pour la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer.

Le chantier du nouveau navire semi-hauturier, le remplaçant du Thalia en Manche Atlantique, vient tout juste de débuter. Quand la réflexion a-t-elle été amorcée ?

Des séminaires ont été organisés au cours de l’année 2020 avec les différentes parties prenantes – les utilisateurs, les ingénieurs, les opérateurs, les logisticiens de Genavir – afin d’esquisser les premières pistes. Nous avons commandé un avant-projet au bureau d’études Ship-ST qui s’est efforcé d’intégrer les technologies les plus récentes au projet pour réduire l’impact environnemental tout en prenant en compte les besoins scientifiques. Lancé fin 2021, l’appel d’offres s’est clôturé au printemps 2023.

Comment peut-on définir votre rôle en tant que cheffe de projet ?

C’est en quelque sorte un rôle de cheffe d’orchestre qui revient à trouver le meilleur compromis à la croisée des contraintes administratives, budgétaires, calendaires et techniques pour répondre aux besoins de la communauté scientifique et des opérateurs.

Quels sont les métiers qui composent votre équipe ?

Nous sommes une équipe pluridisciplinaire qui regroupe une dizaine de personnes : ingénieurs navals, informaticiens, acousticiens, mais aussi des personnels de l’opérateur Genavir qui sont détachés dans le cadre de ce projet. Ponctuellement, des experts nous rejoignent sur des sujets précis comme les problématiques de bruits rayonnés ou encore l’hydrodynamique du navire.

Quand ce nouveau navire verra-t-il la mer et quelles seront les grandes étapes de ce chantier ?

Le contrat a été notifié fin avril avec le chantier Freire en Galice, en Espagne. En mai, la phase des études préliminaires a débuté. Nous sommes en cours de validation des formes de carène et de l’aménagement intérieur du navire. Viendra ensuite l’examen plus détaillé des différents équipements, des diverses intégrations et du détail des espaces de vie, des locaux scientifiques. La première tôle devrait être découpée en décembre 2023 ou janvier 2024. La construction de la coque se poursuivra jusqu’au début de l’automne. Une première mise à l’eau est prévue en octobre ou novembre, à laquelle succéderont plusieurs mois d’aménagement intérieur à flot. Les essais se dérouleront au printemps 2025, et la livraison est prévue au début de l’été.

On se laisse plusieurs mois pour qualifier les équipements scientifiques, pour bien prendre en main ce navire ainsi que les apparaux, avant une entrée en flotte officielle fin 2025, voire au tout début 2026.

Cette construction représente-t-elle une étape importante pour la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer ?

Tout à fait. C’est une étape majeure, primordiale, pour la Flotte océanographique française. Le Thalia étant arrivé en fin de vie, ce nouveau navire semi-hauturier est attendu impatiemment. Nous sommes, en outre, parvenus à un virage technologique. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité qu’il soit flexible au maximum, qu’il puisse évoluer et intégrer de nouvelles technologies tout au long de sa vie.

Peut-on envisager ce nouveau navire semi-hauturier, hybride, flexible et basse consommation, comme une plateforme permettant de tester de nouveaux dispositifs, de nouvelles configurations ?

Attention, ce n’est pas une plateforme d’essais, mais bien un navire océanographique qui sera là pour quarante ans. En revanche, nous pouvons le considérer comme une plateforme en ce sens que ce navire va nous permettre d’approfondir nos connaissances des consommations à bord. Nous avons constaté un décalage entre nos estimations et les consommations réelles à bord. Ce navire va nous permettre de repenser et d’optimiser encore plus les futurs hauturiers.

Percevez-vous une attente grandissante de la part des scientifiques quant à l’empreinte environnementale des campagnes océanographiques ?

En effet, la communauté scientifique souhaite des navires le plus vert possible, respectueux de l’environnement tant en matière de bruits, de consommation, de gestion des déchets que de bilan carbone. Dans le cas du navire semi-hauturier, ce fut une demande très forte du groupe de travail scientifique. Il faut admettre que les technologies qui existent aujourd’hui, soit ne sont pas encore matures, soit ne sont pas adaptées à nos besoins. Car sur nos navires océanographiques, les usages sont multiples, les profils de missions divers, les zones de travail variées, ce qui complexifie le choix des technologies que l’on peut mettre en œuvre. Néanmoins, nous avons tenu à définir un navire dit basse consommation, récupérateur notamment de ses énergies fatales* avec une possibilité de jumboïsation** pour l’intégration de futures technologies adaptées à nos usages. Sa propulsion hybride diesel-électrique moins gourmande pourra utiliser des biodiesel B30 déjà disponibles et sera complétée d’un pack de batteries significatif, afin de réduire fortement l’impact environnemental notamment en station.

 

  • *Énergies perdues au niveau de la propulsion et de la production d’énergie à bord
  • **La possibilité d’allonger le navire en chantier naval afin d’augmenter ses capacités